
Que valez-vous, Doudou Pajeto, vous qui vous revendiquez artiste polyvalent?
Vous savez, je suis un artiste multidimensionnel, c'est pour dire que je ne suis pas qu'auteur compositeur ni chorégraphe; je suis également directeur artistique et même écrivain. Mais de toutes ces activités, celle qui tourne le mieux c'est la danse, la chorégraphie avec le groupe CAPEC et les BINAM INTERNATIONAL. Nous revenons d'une tournée asiatique qui nous a permis de visiter 17 villes du Japon, et de participer à l' exposition universelle qui s'est tenue à Shangaï, en Chine. Nous venons également de mettre sur le marché notre quatrième album dont le titre est Mother Africa.
Vous vous considérez comme chorégraphe parce que, dites-vous, c'est ce qui marche le plus chez vous. Quelle perception le public a-t-il de cet art qui peine à trouver sa place dans notre pays?
Nos parents avaient cru qu'il faut danser chacun dans son sens, comme il peut. Et depuis lors cela est devenu un art, et il est question qu'à la tête de chaque équipe on ait un directeur artistique dont le rôle est d'uniformiser les pas, de donner un thème à une danse pour la rendre comestible et commerciale. Vous savez, au départ chacun danse à sa façon, mais les choses évoluent avec le temps. Ce qui veut dire que la danse est devenue un art complet, qui se vend à travers le monde. Le regard est celui de la curiosité. Les gens veulent découvrir. Ils veulent comprendre. Vous savez, ailleurs on ne fait pas toujours la même chose. Donc, il y a forcément de l'exotisme. Dans nos universités, il y a désormais une unité de valeur appelée Communication inter culturelle. Les gens sont curieux de savoir comment fonctionnent leurs semblables d'autres régions, d'autres pays. Et le fait que nos instruments , nos rythmes entrent seulement aujourd'hui dans le concert des nations peut susciter beaucoup de de curiosité et d'intérêt.
Vos sonorités figurent bien dans le répertoire des chants patrimoniaux. N'êtes-vous pas entrain de dénaturer tout simplement des éléments de notre patrimoine immatériel
sous le prétexte de la chorégraphie?
Il y a bien une grande différence entre l'art et l'artisanat. Quand vous ne faites que ce que vous avez vu faire, on dit que vous faites de l'artisanat. Mais lorsque vous créez, quand vous apportez du vôtre dans ce que vous avez vu des autres, vous êtes entrain de faire de l'art. Et parce que l'art n'est pas ex-nihilo, le seul fait d'ajouter quelque chose pour rendre plus beau ce qui a toujours existé est important. Pour ce qui nous concerne, il ne s'agit pas d'enlever à nos danses leur jus, mais d'en ajouter. Il s'agit en quelque sorte d'un habillage et d'embellissement pour qu'elles soient consommables dans le monde entier.
Quel bilan faites-vous de votre tournée asiatique mentionnée plus haut, et du comportement des produits que vous mettez sur le marché?
Le bilan est très positif.J'ai été très agréablement surpris qu'en Chine par exemple, les gens attendaient impatiemment que nous montions la sur scène pour jouer avec des balafons, avec des tambours, avec le tam-tam; et pour danser armés des grelots de chez-nous. Ils nous accordaient plus d'attention qu'au grands groupes qui jouaient avec des instrument modernes de musique. Mais il fallait commencer par dire que le fait de nous exhiber pendant deux mois en Asie était en soi déjà un signe fort que ce que nous faisons intéresse et conquière de l'espace. Ici, à Dschang, je trouve déjà beaucoup de jeunes qui sont entrain de créer des groupes pour s'essayer dans ce que nous faisons. Mais ils le font sans avoir appris. Ce qui ne leur permet pas d'être convainquant. Il ya également que dans toutes les boîtes de nuit dans le pays notre musique est jouée. Ca marche. Et, les membres du Capec sans être riches ne sont pas non plus pauvres. La plupart vivent de leur art.
Vous dénoncez ces jeunes qui vous imitent sans avoir appris l'art de ce que vous faites. Êtes-vous prêt à partager votre savoir-faire avec ces jeunes qui vous admirent?
Je dois leur dire que tout succès est le fruit d'un dur labeur. C'est aussi la patience et la ténacité. C'est l'engouement et l'humilité. Il s'agit de comprendre que même les fourmis, à travers leurs petits efforts et ensembles, finissent toujours par se faire un lieu où elles peuvent résider. Il y a donc une culture de l'endurance et de la patience . Et tout cela conduit à des lendemains meilleurs. Je félicite ceux des jeunes qui nous imitent car, ils accomplissent mon objectif qui est d'universaliser le rythme ou les rythmes de chez-nous. Mais là où ils pèchent, c'est d'épier, de tricher et aller taper de n'importe quoi et n'importe comment. Ils devraient se rapprocher du Capec, apprendre suffisamment avant d'aller exécuter ailleurs. Je remarque que les sons qu'ils débitent sont lugubres, le rythme aussi. Il faudrait qu'ils comprennent que l'art s'apprend. Et nous sommes prêts à les former s'ils en font la demande. Au Capec, nous avons des stagiaires, et des maîtres en danses et utilisations d'instruments traditionnels.
Dites-nous, c'est quoi le Capec?
Le Club des artistes polyvalents d'expression contemporaine( CAPEC) est un groupe d'étudiants mis sur pied en 2001. L'idée est partie du fait que nous voulions sortir du giron de l'université pour recouvrer notre vraie autonomie. Depuis lors, nous fonctionnons et nous travaillons avec le partenariat de l'alliance franco-camerounaise de Dschang. Le Capec a engrangé une bonne vingtaine de diplômes et de trophées dont le plus récent est celui de Meilleur groupe de danse patrimoniale d'Afrique qui nous a été décerné le 23 avril dernier par le Groupe de l'excellence africaine qui est une organisation panafricaine qui sillonne le monde pour découvrir les talents et les valeurs africaines.
Le Capec est un groupe mondialement connu, mais qui n'a jamais offert de spectacle à sa ville d'origine et de résidence, monsieur le directeur?
Vous savez, c'est les mécènes qui nous invitent à offrir des spectacles. Il y a un adage bien de chez nous qui dit que nulle n'est prophète chez soi. On fait venir des gens de loin pour jouer, alors que le Capec est là qui ne demanderait pas grand chose, parce que c'est avec plaisir que nous devons jouer devant notre public de Dschang qui nous connait, mais pas dans des conditions de spectacles professionnels.
Vous êtes membre de la société de gestion des droits des artistes musiciens qui a recemment élu son président du conseil d'administration. Il est reproché aux PCA des ces sociétés de faire ombrage au directeur?
Vous savez, les élections quand c'est vous qui êtes élu, c'est vous qui répondez des actes posés. C'est vous qui êtes la personne morale de la société. Et ceux qui font ce genre de reproche devraient connaître que les sociétés de gestion du droit d'auteur sont spécifiques. Elles sont différentes des entreprises commerciales. Le directeur est là pour exécuter les grandes lignes tracées par le conseil d'administration. Et son action est contrôlée par le conseil qui siège tous les trois mois. Il suffit de prendre les statuts de la Socam pour s'en rendre compte. Le directeur pour sa part a ses prérogatives, la présidente du conseil d'administration a les siennes; et c'est l'ensemble de ce brassage qui fait le fonctionnement de la société.
A regarder de près les bruits de dénonciation qui ont cours dans les milieux d'artistes, les artistes musiciens camerounais, à votre avis, sont-ils contents de la manière dont sont gérés leurs droits?
Il y a eu un problème, un certain Sam Mbende a porté plainte; et selon les lois du Cameroun, il a gagné le procès. Depuis lors il est entrain de bloquer le versement de l'argent par les grands usagers que sont par exemple les brasseries à la Socam. Ceci fait souffrir toutes les quatre corporations. Donc, ce n'est pas du ressort d'un Pca, ça vient de l'imbroglio que ce monsieur a crée à travers la Cameroon music corporation(Cmc). Mais je dois affirmer que progressivement les choses vont se décanter et je crois que bientôt l'artiste camerounais va vivre de son art.
Que répondez-vous à ceux-là qui soutiennent que la président sortante, Odile Ngaska, a bénéficié du soutien de madame la ministre de la culture Ama Tutu Muna pour être reconduite à son poste?
Ceux qui le disent ne sont pas à Yaoundé. Ils ignorent que madame le ministre est entrain de prendre de la distance par rapport aux quatre corporations du doit d'auteur(Socam, Socadap, Sociladra, Scaap) qui par ce fait s'autonomisent. Madame le ministre avait pour souci de voir que ces sociétés fonctionnent bien, et depuis lors qu'elle a tout mis sur pied pour que tout aille pour le mieux, elle ne peut que se retirer. Dire qu'elle soutenait la candidature de tel ou tel candidat c'est ne pas la connaître. Tout au contraire, c'est même l'équipe sortante qui faisait l'objet des critiques de sa part.
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